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17 décembre 2012 1 17 /12 /décembre /2012 14:17
Référendum : les femmes du Caire ne se laissent pas faire

Le Monde.fr | 16.12.2012 à 20h50 • Mis à jour le 16.12.2012 à 21h28 Par Christophe Ayad, envoyé spécial au Caire

Comme les premiers résultats officieux semblent le confirmer (54 à 57 % en faveur du oui), ce sont les électeurs du Caire qui ont voté le plus massivement contre le projet de Constitution présenté par le président islamiste Mohamed Morsi. L'opposition aux Frères musulmans semble être un phénomène urbain, chrétien, jeune... et féminin. Les femmes se sont mobilisées massivement dans la capitale égyptienne, lors du premier tour de scrutin, samedi 15 décembre, qui avait lieu dans une dizaine de gouvernorats regroupant un peu plus de la moitié des 51 millions d'électeurs inscrits.

SCÈNES VUES SAMEDI AU CAIRE

Alors que la nuit est déjà tombée depuis un moment sur la capitale, une foule compacte se presse devant l'école élémentaire de filles de la rue Moubtadayan. On est au cœur du quartier populaire de Sayeda Zeinab, où vit une petite classe moyenne gouailleuse et pieuse, qui vote généralement pour les Frères musulmans. A droite, les hommes en file indienne, à gauche, les femmes, nettement plus nombreuses et moins disciplinées. Les opérations de vote semblent plus longues côté féminin et ces dames s'impatientent. Elles sautillent d'un pied sur l'autre, frigorifiées par la fraîcheur nocturne. Mais, pour rien au monde, elles n'auraient renoncé à leurs sandales vernies et leur foulard scintillant. C'est jour de sortie.

 

L'officier de police en faction devant la porte tente de contenir la pression de la foule à grand peine. Les femmes le prennent à partie. "Mais tu veux nous empêcher de voter ou quoi ?" Il se défend comme il peut : "Mais c'est le juge qui traîne, je n'y suis pour rien moi." Soudain, la nouvelle se répand que la fermeture des bureaux de vote, déjà étendue de 20 à 21 heures, était repoussée à 23 heures. La foule se détend, pas pour longtemps. Un homme essaie de se faufiler dans leur file pour accompagner sa vieille mère. Il est soudain dénoncé par trois mères de famille déchaînées : "Laisse nous ta mère, on va en prendre soin et toi, sors d'ici ! Espèce de grugeur". Le type n'en démord pas et élève la voix, furieux d'être ainsi pris à partie par des femmes en public. Mais sa voix est vite noyée par celles, vociférantes, de ses voisines. Au bout d'un quart d'heure de hurlements, il est obligé de partir refaire la queue de l'autre côté, sous le regard mi-moqueur mi-compatissant des autres hommes.

 

"RENTRE TOUT SEUL SI TU AS ENVIE DE PARTIR, MOI JE VOTERAI."

"S'il faut passer la nuit ici, je dormirai sur le trottoir, s'emporte Bouthaïna. C'est la seule fois de ma vie que je vais voter sur une Consitution et c'est de ma vie dont il s'agit." Elle n'a pas lu le texte de la Consitution mais a écouté tous les débats à la télévision et à la radio. Elle votera non. Non parce que les droits des femmes ne sont pas mentionnés en tant que tels dans la nouvelle Constitution. Non parce que le droit à l'éducation des filles a été effacé. "Non parce que j'ai peur que l'article qui fait des femmes les 'garantes de la famille' serve à me mettre au chômage ou à m'obliger à travailler moins d'heures." Bouthaïna est fonctionnaire au ministère de la santé et son salaire est au moins aussi indispensable au foyer que celui de son mari. "Je m'occupe déjà de ma famille et ce n'est pas aux Frères musulmans de me dire combien de temps et comment je dois le faire. S'ils comptent réduire le chômage en renvoyant les femmes à la maison, je descendrai dans la rue."


Un mari qui vient de voter dit à sa femme de rentrer à la maison avec lui. "Mais je n'ai pas encore voté moi", se défend-elle. Il balaie l'argument : "Tant pis, on a passé assez de temps ici, allez, viens !" Elle s'insurge : "Rentre tout seul si tu as envie de partir, moi je suis venue voter et je voterai."

Partout, l'humeur est combative parmi les femmes de la capitale, voilées ou pas, conservatrices ou pas. Le numéro 2 des Frères musulmans et vrai homme fort de la confrérie, l'homme d'affaires Khaïrat Al-Shater, a pu le mesurer en se faisant huer par un groupe de femmes dans un centre électoral de Medinet Nasr, dans la banlieue du Caire (vidéo ci-dessous).

Au vu des résultats en province, cette effronterie n'a pas encore franchi les limites de la capitale. Mais les Frères musulmans ont assurément perdu une partie importante des citadines éduquées.

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