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7 novembre 2012 3 07 /11 /novembre /2012 15:15
Requiem pour Francis le postier, suicidé du travail
Mercredi 7 Novembre 2012 à 12:00 | marianne.net

 

Jack Dion
Directeur adjoint de la rédaction de Marianne

 

 

(CHAMUSSY/SIPA)
(CHAMUSSY/SIPA

Un homme, prénommé Francis, s’est pendu à l’heure de la pause déjeuner, dans le bureau de poste de La Fère (Aisne). Il avait 55 ans. Quelques minutes avant le geste fatal, il avait envoyé un mel à sa direction, résumé par un seul mot : « Adieu ». Dans ce message post mortem, si l’on peut dire, il affirmait ne plus supporter le manque de « reconnaissance » au travail. Il écrivait notamment : « J’ai attendu jusqu’au dernier moment un vrai message d’espoir, un peu de reconnaissance du travail que j’ai effectué, rien, rien du tout ».

A la radio, à la télévision, dans les journaux, le drame a été à peine évoqué. Il a eu moins d’écho que le traumatisme des quelques Français qui ont été privés du marathon de New York à cause de l’ouragan Sandy, et qui se sont préparés si longtemps pour avoir la chance de traverser le pont de Brooklyn.

Un homme qui se pend sur son lieu de travail, quel intérêt ? Qu’il s’agisse du quatrième suicide à La Poste en un peu plus d’un an, quelle importance ? Que cela concerne un service public converti de force aux joies de la gestion managériale en vogue dans le privé, qui s’en soucie ? Que les syndicats mettent en garde à longueur de communiqués rageurs et de SOS à répétition, qui s’en préoccupe ?   

Par un hasard du calendrier, le suicide de Francis a eu lieu en pleine discussion sur le rapport Gallois. Ce dernier a été ramené par les éditocrates à une seule question : comment réduire le « coût du travail » ? Impossible d’y échapper. Certains (fort rares, on en convient) ont beau expliquer que la « compétitivité » du pays ne se redressera pas en taillant à la serpe dans la partie salariale (sinon la Grèce se porterait à merveille), il est des gens bien installés qui posent et reposent la seule question digne d’intérêt à leurs yeux de convertis : mais qu’attendez-vous donc pour réduire le « coût du travail » ?

L’autre matin, l’inénarrable Jean-Michel Apathie recevait Louis Gallois sur RTL. Comme ce dernier expliquait pourquoi il lui paraissait nécessaire de réaliser un allègement de 20 milliards d’euros de « charges » (qui sont en réalité une partie de salaire dévolue au financement de la protection sociale), le journaliste accusait le commissaire général à l’investissement de «jouer petits bras », d’être « timoré », de se contenter de « pas grand chose ». Et d’expliquer que 20 milliards, ce n’était pas suffisant, qu’il fallait aller bien au-delà, à 50 voire 60 milliards. Et pourquoi pas 100 milliards pour faire un compte rond ? C’est comme au loto, il faut miser gros pour toucher le gros lot.

Il n’est nul besoin d’avoir fréquenté les cours d’une école de journalisme pour comprendre le message subliminal d’une telle (non) « analyse ». Cela revient à dire que la cause de la crise, aujourd’hui, c’est le travail et sa rémunération – enfin celui des salariés en général et des ouvriers en particulier, dont chacun sait qu’il frise l’opulence.

En effet, quand on évoque les revenus des grands patrons, ces mêmes esprits crient aussitôt au « racisme anti patrons ». Ils sont même prêts à monter dans la même voiture idéologique que Laurence Parisot pour pérorer contre le « racisme anti entreprises » (sic). En revanche, ils sont tous d’accord pour dénoncer le « coût du travail » (celui des autres, pas le leur).
Peu importe si derrière cette notion, il y a des hommes et des femmes qui souffrent ; des hommes et des femmes qui ont des salaires de misère ; des hommes et des femmes qui se sentent oubliés, abandonnés, méprisés; parfois même des hommes et des femmes qui vont jusqu’à commettre l’irréparable.

On se gardera ici d’instrumentaliser le geste de Francis le postier. Dans tout suicide, il y a une part personnelle, intime, qui interdit la généralisation abusive et l’accusation définitive. Mais comment un homme comme lui pouvait-il réagir à l’écoute du débat ubuesque sur la nécessaire réduction du « coût du travail » ? Le coup du « coût du travail »,  à le lire, il en est mort.
Que l’on me comprenne bien. Le débat sur la situation économique de la France est nécessaire. Il faut le mener sans faux fuyant, sans œillères, sans a priori idéologique, sans tomber dans les ornières du démagogiquement correct. Mais il faut mesurer le poids des mots et des maux.

Voici peu, on disait non sans raison que la mise au rebut de la valeur travail était l’une des origines de la crise. Aujourd’hui on semble avoir oublié ce constat de bon sens pour faire du travail et de son prétendu « coût » l’ennemi public numéro 1. C’est une injure à tous ceux qui vivent comme ils peuvent de leur travail, et c’est une insulte à la mémoire de ceux qui en sont morts.   

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